Dès janvier 1793, Saint-Just était suffisamment célèbre pour que lui soient adressées des lettres écrites par des correspondants ne le connaissant que par ses discours à la Convention. C’est en effet ce qu’il ressort d’un entrefilet du Supplément au Journal de Paris national (supplément numéroté 6 au Journal de Paris du 25 janvier 1793). Il s’agit d’une lettre destinée « aux Auteurs du Journal » rédigée en ces termes :
« Le
20 janvier 1793, l’an 2e de la République,
C’est par
erreur, sans doute involontairement, que le Citoyen Baudouin, Imprimeur du Journal
des débats de la Convention, a ajouté le nom de Merard au nom d’un
Député du Département de l’Aisne à la Convention Nationale, qui signe seulement
Saint-Just.
Cette erreur,
copiée par plusieurs Journalistes, est cause qu’on m’adresse des lettres comme
si j’étois Député.
MERARD-ST-JUST. »
L’auteur de cette
lettre est Simon-Pierre Mérard de Saint-Just (1749-1812), que j’ai eu
l’occasion d’évoquer dans un article récemment publié dans les Annales
historiques de la Révolution française. Dans sa France Littéraire (1834),
Joseph-Marie Quérard parle cet écrivain prolifique en des termes peu flatteurs.
En effet, écrit-il, « Mérard de Saint-Just était un auteur
très-médiocre ; mais ses ouvrages n’ont été imprimés qu’à petit nombre, ce
qui en rend la collection rare, et conséquemment précieuse à une certaine classe
d’amateurs » [1].
Chacun pourra décider si le jugement de Quérard est trop sévère en se rendant
sur le site de la Bibliothèque nationale de France qui a mis en ligne des échantillons de l’œuvre de Mérard de Saint-Just composée presque entièrement d’ouvrages
lestes et de vers de circonstance.
L’erreur
sur le nom de Saint-Just que déplore notre écrivain léger a été faite à deux
reprises par les rédacteurs du Journal des débats et des décrets : dans
le compte rendu de l’Opinion du citoyen Saint-Just concernant le jugement de
Louis XVI prononcée le 13 novembre 1792 à la Convention, première intervention
du jeune député de l’Aisne devant cette Assemblée, et dans celui de son Discours
sur les subsistances du 29 novembre 1792. Mérard de Saint-Just indique
que cette erreur a été reproduite par plusieurs journalistes : je l’ai en
effet trouvée dans deux autres gazettes de l’époque, Le Républicain françois et les Révolutions
de Paris, qui écrivent d’ailleurs parfois le nom de l’orateur « Méard
de Saint-Just ».
Ces confusions
s’expliquent aisément par le fait qu’en novembre 1792 Saint-Just n’avait pas eu
l’occasion de se faire connaître hors de son département alors que l’écrivain parisien
Mérard de Saint-Just avait une certaine notoriété dans la capitale. Il est d’autant
plus remarquable que, deux mois plus tard, Saint-Just reçoive une
correspondance suffisamment abondante pour que son presque homonyme se plaigne du
nombre des lettres écrites au député qu’il reçoit par erreur.
Quels discours de Saint-Just lui valurent cette soudaine célébrité ? À la date du 20 janvier, il n’a encore fait à la Convention nationale que trois discours marquants : les deux discours sur le jugement de Louis XVI des 13 novembre et 26 décembre 1792, et le Discours sur les subsistances du 29 novembre 1792. On peut supposer que c’est le premier de ses textes, pour lequel plusieurs journaux ont commis l’erreur sur son nom, qui a incité ses correspondants à lui écrire. Mais la date relativement tardive à laquelle Mérard de Saint-Just écrit sa missive (plus de deux mois après la parution dans la presse du texte de sa première intervention sur le procès du roi) fait supposer que les lecteurs ayant remarqué le discours du 13 novembre se sont également intéressés de près aux suivants et n’ont pu décider de lui écrire qu’après les avoir lus. S’ils ont continué de penser que le Conventionnel se nommait « Mérard de Saint-Just » après que les journalistes eurent cessé de l’appeler ainsi, c’est vraisemblablement parce que ces correspondants ont cru que « Saint-Just » était la forme abrégée de « Mérard de Saint-Just » et qu’en écrivant ainsi son nom leur lettre arriverait plus sûrement au bon destinataire. On peut d’ailleurs se demander si Mérard de Saint-Just, lorsqu’il écrit que le député « signe seulement Saint-Just », ne considère pas que celui-ci a évidemment tort de n’accompagner son nom d’aucune information supplémentaire comme un prénom ou le département dont il est le représentant…
[1] Joseph-Marie Quérard, La France littéraire ou Dictionnaire bibliographique des savants,
historiens et gens de lettres de la France, Paris,
Firmin Didot, tome VI, 1834, p. 54