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Saint-Just piéton de Paris

La Bibliothèque nationale de France a lancé récemment l'application en ligne Jadis qui permet de consulter trois cent cinquante cartes de Paris en les rapportant aux rues actuelles de la capitale. Comme la plus ancienne des cartes numérisées date de 1760, j’ai eu l’idée de « remonter le temps » pour voir quels trajets Saint-Just a pu faire dans le Paris de la Révolution. Saint-Just lui-même, d’ailleurs, nous y invite quand, dans le Discours sur les subsistances du 29 novembre 1792, il déclare qu’il lui arrive fréquemment de se « promen[er] » dans Paris [1].

Le trajet que Saint-Just a le plus souvent emprunté entre 1792 et 1794, après son élection comme représentant du peuple, est certainement celui que le menait de son domicile à la salle des séances de la Convention nationale ou au Comité de salut public, dans le pavillon de Flore du palais des Tuileries. Jusqu’au 9 mai 1793, les débats de la Convention eurent lieu dans la salle du Manège qui avait déjà été la salle des séances de l’Assemblée constituante et de l’Assemblée législative [2]. Saint-Just logeait alors à l’Hôtel des États-Unis situé au 7 rue Gaillon, dans un immeuble aujourd’hui détruit qui se trouvait à l’emplacement du bâtiment de cette rue portant le numéro 1, ainsi que nous l’apprend un savant article sur les logements de Saint-Just.

Des différentes cartes proposées par l’application de la Bibliothèque nationale, celle dont la réalisation fut la plus proche chronologiquement des années qui nous intéressent est une version colorisée du Plan de la Ville de Paris avec sa nouvelle enceinte dit « plan Verniquet », du nom de son auteur l’architecte Edme Verniquet, achevé en 1791. L’application permet de consulter ce plan en haute résolution et de faire apparaître par transparence, comme si l’on superposait un calque, les rues contemporaines. A droite, une zone de texte signalée par une loupe sert à indiquer par une balise l’emplacement sur le plan de l’adresse parisienne que l’on souhaite localiser. Toutefois, on fera attention que le plan Verniquet est légèrement inexact, et que la balise pour le « 1 rue Gaillon » apparaît du côté pair de la rue au lieu du côté impair (c’est bien visible lorsqu’on utilise la fonction « transparence »).

A suivre le plan Verniquet, on voit que le trajet de Saint-Just pour aller à pied de son domicile de la rue Gaillon à la salle du Manège ne devait pas lui prendre plus d’une douzaine de minutes lorsqu’il suivait le trajet le plus direct. Après avoir tourné à droite en sortant de chez lui, il lui fallait emprunter la rue Neuve Saint-Roch puis la courte rue du Dauphin (appelée rue Saint-Vincent sur d’autres plans de la même époque) qui seront par la suite réunies pour former la rue Saint-Roch ; arrivé au débouché de la rue Saint-Vincent, Saint-Just n’avait plus qu’à prendre à droite la cour donnant sur le bâtiment du Manège  qui, sur le plan, est en rouge dans la partie ouest de la cour. Le plan Verniquet ne permet pas de dire avec certitude si l’accès au Manège depuis la rue Saint-Vincent était possible ; mais il semble bien, d’après le plan de 1785 consultable sur la même application, que ce côté de la cour était ouvert.

Lorsque début mai 1793 la Convention se déplaça dans la salle des Machines, au centre de l’aile ouest du palais des Tuileries, Saint-Just n’eut besoin que de quelques minutes de marche de plus en direction de la Seine pour se rendre, depuis son domicile de la rue Gaillon, dans la salle des séances de l’Assemblée ou, après son élection au Comité de salut public le 30 mai, dans les bureaux du Comité [3]. En s’installant dans cette rue, Saint-Just était donc logé au plus près des lieux qu’il fréquentait quotidiennement pour exercer ses fonctions de député et de membre du gouvernement.

   Le 16 mars 1794, pourtant, Saint-Just déménagea rue de Caumartin, dans le bâtiment qui porte désormais le numéro 5 [4]. Son nouveau domicile était plus grand puisqu’il comportait quatre pièces au lieu de deux, et il était plus moderne et plus confortable (la rue avait été percée en 1780), mais il était aussi plus excentré : le trajet pour gagner l’aile du palais des Tuileries renfermant la Convention nationale et les bureaux du Comité de salut public lui prenait désormais une petite vingtaine de minutes de marche. Afin de se rendre à la salle des Machines ou au pavillon de Flore, Saint-Just avait le choix entre trois itinéraires. Le plus court consistait à traverser le boulevard de la Madeleine pour emprunter la rue des Capucines, puis prendre à droite la place Vendôme appelée en 1794 place des Piques (elle se nomme encore « Place de Louis le Grand » sur le plan Verniquet), enfin passer par la rue Saint-Honoré et la rue Saint-Vincent afin de rejoindre le jardin des Tuileries et atteindre le Louvre. Saint-Just avait la possibilité d’emprunter un trajet un peu différent et à peine plus long passant par la rue du Luxembourg et la rue Neuve du Luxembourg (l’actuelle rue Cambon), avant de prendre à gauche, une centaine de mètres avant la place Vendôme, la rue Saint-Honoré. Comme le précédent, ce parcours faisait passer Saint-Just devant le club des Jacobins qui se trouvait à l’emplacement du marché Saint-Honoré.

Mais Saint-Just a pu aussi, lorsqu’il n’était pas pressé par le temps, vouloir profiter du beau jardin des Tuileries en se rendant à la Convention. Sortant de la rue de Caumartin, il aurait alors pris à sa droite le boulevard de la Madeleine avec ses doubles rangées d’arbres puis, une fois dépassée la place de la Madeleine, emprunté la rue de la Révolution (sur le plan comme aujourd’hui, rue Royale) donnant sur la place de la Concorde qui portait alors le nom de « place de la Révolution ». Entourée de fossés, la place était ornée en son centre d’une statue de la Liberté en plâtre couvert d’une patine imitant le bronze due au sculpteur François-Frédéric Lemot qui avait remplacé la statue équestre de Louis XV, renversée le 11 août 1792. Le pont tournant situé à l’entrée ouest du jardin des Tuileries servant à franchir le fossé [5] permettait d’entrer dans le jardin. Le traverser pour se rendre dans leurs bureaux prenait aux membres du Comité de salut public, si aucun solliciteur ne les arrêtait, environ quinze minutes, qu’ils empruntent l’allée centrale ou la terrasse du Bord de l’eau faisant face au pavillon de Flore. 

Plantée d’arbres devenus très hauts, comme le montre cette œuvre de Jean-Baptiste Maréchal, la promenade du jardin des Tuileries devait être des plus agréables. Mais Saint-Just avait-il parfois le temps de faire un détour par ce jardin, lui qui confiait à son ami Thuillier à l’époque où il siégeait au Comité qu’il était « occupé sans cesse » et « succomb[ait] à l’ouvrage » ?



[1] « Lorsque je me promène au milieu de cette grande ville, je gémis sur les maux qui l'attendent, et qui attendent toutes les villes, si nous ne prévenons la ruine totale de nos finances ».

[2] La salle du Manège fut détruite au début du XIXe siècle lors du percement de la rue de Rivoli. Une plaque sur les grilles du jardin des Tuileries en signale l’emplacement.

[3] Ceux-ci se trouvaient dans le pavillon de Flore qui est toujours debout mais où, m’a-t-on dit, ne subsiste aucun vestige des décors ou des aménagements de l’époque révolutionnaire.

[4] Le mérite revient à Catherine Gosselin et Louise Tuil d’avoir montré, dans leur article consacré aux logements parisiens de Saint-Just précédemment cité, que celui-ci s’était installé au 5 de cette rue. Sur le plan Verniquet, la balise indique, là aussi de façon erronée, le côté pair de la rue de Caumartin.  

[5] Sur la carte, il s’agit du passage étroit situé dans l’axe du piédestal de la statue de Louis XV et du grand bassin octogonal des Tuileries. Ce dessin représentant la change du prince de Lambesc le 12 juillet 1789 en donne une représentation plus précise que la gravure bien connue de Pierre-Gabriel Berthault figurant la même scène.