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Louis, Antoine, Léon ou Florelle  ? Mise au point sur les prénoms de Saint-Just

 Comment Saint-Just se prénommait-il ? Le moins que l’on puisse dire est qu’existe sur ce sujet un certain flottement en dépit de l’article que Maurice Dommanget lui a consacré en 1963 [1]. Ainsi, la notice sur Saint-Just de la Bibliothèque nationale de France le prénomme « Louis-Antoine-Léon » mais Wikipédia « Louis Antoine » dans l’intitulé de l’article, puis « Louis Antoine Léon » alternativement avec « Louis Antoine » ailleurs dans la page Internet. On retrouve les mêmes hésitations dans les biographies de Saint-Just. Lorsque le révolutionnaire n’y est pas désigné par son nom de famille, elles l’appellent « Louis-Antoine » ou bien « Antoine » [2]. Le premier biographe de Saint-Just, Edouard Fleury, a pour sa part écrit de façon péremptoire que « Saint-Just possédait quatre prénoms : Louis-Léon-Antoine-Florelle » [3].

Ce sont donc quatre prénoms ainsi que plusieurs associations en prénoms composés qui sont employés pour désigner Saint-Just. Après avoir précisé l’origine de ces prénoms, nous verrons dans cet article qu’il est possible de choisir entre eux en se conformant à l’usage que Saint-Just souhaitait pour lui-même.

Les prénoms de baptême de Saint-Just sont « Louis-Antoine » ainsi que l’atteste son acte de baptême établi à Decize le 25 août 1767. Selon une pratique courante alors, on avait donné à l’enfant le prénom de son père Louis-Jean de Saint-Just, mais aussi le prénom du saint du jour, le roi Saint Louis, et le prénom de son parrain Jean-Antoine Robinot, l’oncle de sa mère Marie-Anne Robinot. Toutefois, ce prénom d’Antoine ne semble pas avoir été utilisé pour désigner le jeune garçon : Ernest Hamel, qui était apparenté à la famille de Saint-Just, a en effet indiqué qu’Antoine avait « paru un peu commun et peu harmonieux » à ses proches [4]. Saint-Just lui-même paraît avoir partagé les préjugés familiaux négatifs sur ce prénom lorsqu’il donne au héros éponyme de son épopée satirique Organt le prénom Antoine, dans la mesure où ce personnage est le plus souvent présenté comme ridicule ou la victime des événements qui lui arrivent.

Les prénoms que Saint-Just utilisait pour lui-même mais aussi qu’employaient ceux qui le connaissaient sont « Louis-Léon ». Le livre Esprit de la Révolution et de la Constitution de France paru au printemps 1791 est en effet signé « Louis-Léon de Saint-Just, Electeur au département de l’Aisne », et le Discours sur la proposition d'entourer la Convention nationale d'une garde armée prononcé le 22 octobre 1792 aux Jacobins porte dans son titre la précision qu’il est l’ouvrage du « citoyen Louis-Léon Saint-Just, Député à la Convention nationale », désormais sans la particule [5]. Le prénom composé Louis-Léon n’est pas seulement une sorte de pseudonyme réservé à ses écrits, mais celui par lequel il était connu de ses compatriotes de Blérancourt puisque le jeune révolutionnaire se trouve désigné sous le nom de « Louis Léon de St-Just », concurremment avec celui de « M. de St-Just », dans les registres de délibération de la municipalité [6].

Contrairement à ce que paraît penser Maurice Dommanget [7], ce n’est donc pas parce qu’il se serait choisi un « prénom de plume » que Saint-Just s’est fait appeler « Louis-Léon de Saint-Just » lors de la publication de l’Esprit de la Révolution et de son discours d’octobre 1792. Il s’agissait de ses prénoms usuels, Ernest Hamel précisant que le prénom Léon n’avait pas été choisi par Saint-Just mais lui avait été donné par sa famille [8]. Ce biographe n’apporte pas d’autres précisions mais on peut supposer que ce prénom a été forgé sur celui du grand-père maternel de Saint-Just, Léonard Robinot, dont il constitue une variante, les prénoms « Léonard » et « Léon » ayant pour origine étymologique commune le mot latin leo désignant le lion. « Léon » était certainement aussi, selon sa famille, moins « commun » et plus « harmonieux » qu’« Antoine »…

Les documents de l’époque permettent ainsi d’assurer que si les prénoms de naissance de Saint-Just sont « Louis-Antoine », ceux par lesquels il était connu de ses familiers, mais aussi les prénoms avec lesquels il souhaitait acquérir la notoriété, sont « Louis-Léon ».

Saint-Just ne semble pas avoir utilisé d’autres prénoms que ceux-là à l’exception de celui de « Florelle », prénom de fantaisie aux consonances poétiques qui, note Bernard Vinot, fut employé par lui en 1790 en une unique occasion, certainement pour entretenir le doute concernant son âge [9]. Le prénom de Léonard, que certains auteurs lui prêtent parfois [10], ne se trouve à ma connaissance dans aucun document paru du vivant de Saint-Just. Certes, Maurice Dommanget indique qu’après la parution d’Organt Saint-Just se serait caché à Paris pendant deux mois sous le nom de « Léonard Florelle de Saint-Just » [11]. Mais son affirmation s’appuie en note sur une source (l’article de Gustave Laurent sur la faculté de droit de Reims) qui s’est avérée erronée, l’historien rémois n’évoquant la vie de Saint-Just dans la capitale ni à la page indiquée par Dommanget ni ailleurs dans son article.   

 


[1] Maurice Dommanget, « Du nom et des prénoms de Saint-Just et de leurs modifications », in Saint-Just, Éditions du Cercle/Éditions de la Tête de Feuilles, 1971, p. 19-27 (première publication dans les Annales historiques de la Révolution française de juillet-septembre 1963, p. 331-336). De façon générale, Maurice Dommanget n’est pas clair lorsqu’il évoque la question des prénoms de Saint-Just faute d’être revenu aux sources originales. Les approximations de son propos l’empêchent de conclure avec toute la netteté souhaitable, ce qui pourrait expliquer les hésitations persistantes sur les prénoms du Conventionnel.

[2] Antoine Boulant a ainsi choisi « Louis-Antoine » dans Saint-Just, l’archange de la Révolution (Passés Composés, 2020) tandis qu’Arnaud Maïsetti préfère « Antoine » (Saint-Just et des poussières, L’Arbre Vengeur, 2021).

[3] Edouard Fleury, Saint-Just et la Terreur, Paris, Didier, 1852, tome I, p. 111.

[4] Ernest Hamel, Histoire de Saint-Just, député à la Convention nationale, Paris, Poulet-Malassis, 1859, p. 70.

[5] C’est par erreur que Maurice Dommanget indique que le discours du 22 octobre est signé « Louis-Léon de Saint-Just » (« Du nom et des prénoms de Saint-Just… », op. cit., p. 23).

[6] Par exemple, à la date du 3 juillet 1792 ou à celle du 24 juin 1791 (sous la forme « L. L. de St-Just » pour cette dernière). M. Dommanget (ibid.) croit pour sa part que, dans ces registres, Saint-Just n’est jamais désigné que par son patronyme.

[7] Ibidem.

[8] Ernest Hamel, Histoire de Saint-Just..., op. cit., p. 70.

[9] Bernard Vinot, Saint-Just, Paris, Fayard, 1985, p. 89. Saint-Just avait signé « Florelle de Saint-Just » le texte de son discours inséré dans le procès-verbal de l’assemblée des électeurs de l’Aisne réunis à Chauny en juin 1790 pour choisir le chef-lieu de ce département.

[10] Ainsi, par Emmanuel Aegerter dans son livre La vie de Saint-Just (Paris, Gallimard, 1929) et par Yves Michalon dans La passion selon Saint-Just (Paris, Albin Michel, 1981).

[11] Op. cit., p. 22.