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Un discours de Saint-Just par ChatGPT

Comme je lisais dernièrement un article de presse sur le logiciel de conversation ChatGPT indiquant que « des élus l’utilisent pour des discours et des lois », je me suis demandé quel genre d’éloquence un logiciel utilisant l’intelligence artificielle était capable de produire. Aussi ai-je demandé à ChatGPT d’écrire un discours de Saint-Just. Voici le résultat [1] :

« Citoyens,

Je m’adresse à vous en tant que votre égal, car c’est ainsi que la République nous a tous conçus. Nous sommes tous des citoyens, égaux en droit et en devoir (sic), et c’est sur cette base que nous devons fonder notre nation.

Mais la liberté ne se donne pas, elle se prend. Nous avons lutté pour notre liberté, nous avons versé notre sang pour elle, et nous ne devons jamais l’oublier. La liberté est notre bien le plus précieux, et nous devons la protéger à tout prix.

Nous sommes en train de bâtir une nouvelle société, une société où la justice sera rendue à tous, où la tyrannie sera abolie, où la vertu sera célébrée, et où la patrie sera honorée. Nous ne pouvons pas permettre que les ennemis de la Révolution nous arrêtent dans notre marche en avant.

Nous devons rester vigilants, car l’ennemi est partout. Ils (sic) se cachent dans les coins les plus sombres de notre société, complotant contre nous, cherchant à détruire notre République. Mais nous ne devons pas avoir peur. Nous devons rester forts, unis, déterminés à protéger ce que nous avons construit.

Notre nation est jeune, mais elle est forte. Nous avons déjà surmonté de nombreux obstacles, mais il y en aura encore plus à l’avenir. Nous devons rester unis, déterminés, et conscients que notre cause est juste.

Citoyens, nous avons une grande responsabilité envers notre nation et envers l’histoire. Nous devons être prêts à donner tout ce que nous avons pour protéger notre liberté, notre égalité et notre fraternité. Nous devons être prêts à défendre notre République avec notre vie si nécessaire.

C’est notre devoir envers notre nation, envers nos ancêtres qui ont lutté pour notre liberté, et envers nos enfants qui hériteront de notre République. Soyons fiers de notre patrie, de notre histoire et de notre héritage. Soyons fiers d’être citoyens de la République. Vive la République, vive la France ! »

            Notons d’abord que si Saint-Just avait fait ce discours devant une assemblée révolutionnaire, il s’agirait du plus court qu’il eût jamais prononcé. On ne saurait toutefois blâmer ChatGPT d’avoir produit un texte aussi bref, tant cette accumulation de lieux communs sur la liberté ou la République est fastidieuse, et laisse de surcroît l’impression d’une complète vacuité. À aucune ligne de ce prétendu discours je n’ai retrouvé les idées de Saint-Just. Seuls quelques termes (« liberté », « tyrannie », « vertu », « patrie ») et le groupe nominal « les ennemis de la Révolution » évoquent l’éloquence de la période 1792-1794. Mais l’on relève aussi deux anachronismes voyants : l’exclamation finale « Vive la République, vive la France ! » employée couramment dans les discours à partir du XIXe siècle et, depuis De Gaulle, dans les allocutions des présidents de la République, mais que les orateurs de la Révolution française n’utilisent pas [2] ; et la sentence « la liberté ne se donne pas, elle se prend », attribuée à la poétesse québécoise Reine Malouin (1898-1976) par les sites Internet répertoriant des citations, mais que Lacordaire cite en la présentant comme une maxime connue dans un discours datant des années 1830 [3]. Toutefois, si l’on fait une recherche par dates dans Google Livres, on constate que cette sentence n’a pas d’occurrences avant cette époque.

            Passons au style du discours saint-justien rédigé par ChatGPT. La première remarque qui m’est venue à l’esprit portait sur la monotonie de son rythme et donc de sa syntaxe. Toutes les phrases du texte ont une ampleur moyenne – elles ne sont ni longues, ni brèves et fermes – qui produit un effet de sécheresse très éloigné de la véhémence créée, dans les discours de Saint-Just, par l’alternance de périodes oratoires et de phrases plus courtes que ponctuent souvent des sentences énergiques.

    Les procédés stylistiques utilisés par ChatGPT présentent également le défaut d’être extrêmement répétitifs. Le discours contient un grand nombre d’anaphores, soit en début de propositions (succession de quatre propositions relatives commençant par dans le troisième paragraphe), soit en début de phrases (« Soyons fiers… Soyons fiers » au dernier paragraphe, et « Nous devons… Nous devons… » aux quatrième et sixième paragraphes). À suivre ChatGPT, la répétition serait d’ailleurs une technique rhétorique remarquablement efficace, puisque ce discours d’une vingtaine de lignes n’utilise pas moins de huit fois la formule « nous devons », généralement en début de phrase. Les autres procédés stylistique employés dans ce texte sont les groupes ternaires (« Nous devons rester forts, unis, déterminés » [4], « Soyons fiers de notre patrie, de notre histoire et de notre héritage »), l’antithèse (« Notre nation est jeune, mais elle est forte », « Nous avons déjà surmonté de nombreux obstacles, mais il y en aura encore plus à l’avenir », et l’opposition entre « nos ancêtres » et « nos enfants » dans le dernier paragraphe) ainsi que la répétition de l’adjectif possessif « notre » doté d’une connotation affective (dix occurrences en tout). Sa pauvreté syntaxique et stylistique n’empêche d’ailleurs pas le discours de ChatGPT d’éviter le charabia, notamment au début (« Je m’adresse à vous en tant que votre égal, car c’est ainsi que la République nous a tous conçus ») et dans son sixième paragraphe (« Nous devons être prêts à défendre notre République avec notre vie si nécessaire »).

           Selon Pascal Marchand, professeur en sciences de l’information à l’Université de Toulouse cité dans l’article que j’ai mentionné au début de ce billet, les intelligences artificielles « sont capables de générer des discours très fidèles » aux marqueurs idéologiques traditionnels des politiques mais, parce qu’elles sont incapables d’invention, elles seraient moins utiles aux politiciens qui souhaitent « s’adapter à la conjoncture et avoir un discours dans l’air du temps ». Mon essai avec ChatGPT et avec un autre robot conversationnel [5] n’a en tout cas montré nulle compétence de ces logiciels pour le pastiche des discours des révolutionnaires français : les discours proposés restent plats et sans intensité, même lorsque des suggestions leur sont faites pour améliorer les textes produits. Je suis en tout cas d’accord avec Pascal Marchand lorsqu’il affirme que ce ne sont pas de tels discours qui rendront possible à quiconque de se livrer à la « manipulation de masse »…



[1] Requête ainsi formulée : « Fais un discours de Saint-Just ».

[2] Une rapide recherche dans Google Livres montre que cette formule commence à apparaître dans la première moitié du XIXe siècle (nous l’avons notamment trouvée sous la plume de Philippe Le Bas fils) et qu’elle commence à avoir un grand succès sous la IIIe République. Durant la Révolution, on lui préfère des exclamations telles que « Vive la République ! Vive la Convention nationale ! » ou « Vive la République ! Vive la Liberté ! » qui ne sont d’ailleurs pas énoncées par les orateurs des Assemblées mais par le public prenant place dans les tribunes.

[3] Voir Henri-Dominique Lacordaire, Sermons, instructions et allocutions, tome III, Paris, Librairie Poussielgue, 1888, p. 60.

[4] Maladroitement repris au paragraphe suivant sous la forme : « Nous devons rester unis, déterminés, et conscients que notre cause est juste »

[5] « New Bing », à qui j’ai demandé de « cré[er] un discours à la manière de Saint-Just » puis de « cré[er] un discours sur Danton à la manière de Saint-Just » en ajoutant des consignes portant sur le contenu, le style et la composition (longueur et nombre de parties).