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La Maison de Saint-Just au début du XIXe siècle (3) : le bâtiment de la rue du Jeu d’Arc

La vente de la moitié est de la maison de la rue de la Chouette n’est pas la seule opération immobilière que Victoire de Saint-Just et son mari conclurent le 24 avril 1829. En effet, le registre des hypothèques rapporte sous le même numéro [1] qu’ils effectuèrent le même jour la vente d’une bâtisse « donnant sur la rue du Jeu d’Arc ou du Preslet » - l’actuelle rue Saint-Just - et jouxtant la partie de la Maison de la rue de la Chouette leur appartenant, ainsi que son jardin. L’acte notarié précise qu’au moment de la vente les époux Lessasière habitaient concurremment leur maison de la rue de la Chouette (la partie est de l’actuelle Maison de Saint-Just) et celle de la rue du Jeu d’Arc. Cet ensemble immobilier offrait à Victoire de Saint-Just et à son mari des conditions de vie que ne permettait pas la seule demeure de la rue de la Chouette disposant de trois chambres mais non d’une cuisine, par exemple. La porte au fond du vestibule, visible sur le plan de 1807 mais aujourd’hui murée, permettait de circuler aisément d’un bâtiment à l’autre. L’acte de vente nous apprend que c’est en 1829 que cette porte fut bouchée « aux frais des vendeurs » en même temps qu’une fenêtre qui donnait elle aussi sur la propriété de l’acheteur de la maison de la rue du Jeu d’Arc [2]. Cette fenêtre se trouvait dans la première salle à droite en entrant par le vestibule de la maison de la rue de la Chouette. Sa trace se voit depuis le jardin de la propriété voisine.

    L’acheteur de cette maison était Louis Pierre Leroux [3], « propriétaire demeurant à Paris, rue saint André des Arts numéro trente-neuf, momentanément à Blérancourt » qui l’acquit pour la somme de six mille francs. Les vendeurs ne reçurent cependant que mille cinq cents francs de Louis Pierre Leroux car ils devaient quatre mille cinq cents francs à Gustave Joseph Flahaux [4], « fils mineur du sieur Louis Joseph Flahaux » (né le 12 février 1812, il était âgé de dix-sept ans), auquel Leroux régla la différence.

    La maison achetée aux époux Lessasière par Louis Pierre Leroux ne nous intéresserait pas si l’acte de vente de 1829 ne spécifiait que Victoire de Saint-Just tenait le bâtiment de sa mère « comme lui ayant été donné suivant acte passé devant maître Thorin notaire à Blérancourt le cinq juin mille huit cent sept contenant partage anticipé par dame Marie Anne Robinot demeurant à Blérancourt, veuve de monsieur Jean Louis de Saint-Just, de ses biens entre ladite dame Lessassière et dame Louise Saint-Just, épouse de monsieur André François Emmanuel Decaisne, ancien notaire, ses deux enfants ». Cette formule, identique à celle employée dans l’acte de cession de la partie de la maison de la rue de la Chouette vendue par Victoire de Saint-Just, indique clairement que la bâtisse de la rue du Jeu d’Arc appartenait en 1807 à Marie-Anne de Saint-Just. La maison de la rue du Jeu d’Arc apparaît d’ailleurs sur le plan de 1807 qui précise son organisation intérieure, ce qui n’aurait guère eu de sens si elle n’avait eu pour propriétaire la donatrice.

    La raison pour laquelle on a pensé que cette maison avait en 1807 un autre propriétaire que Marie-Anne de Saint-Just tient à l’imprécision et aux lacunes de l’acte de donation-partage qui décrit mal et partiellement ce bâtiment. C’est le spécialiste de l’architecture du Soissonnais Denis Rolland qui fit le premier l’hypothèse que la mère de Saint-Just ait pu être la propriétaire de la maison de la rue du Jeu d’Arc. En 2011-2012, Denis Rolland avait en effet à ma demande accepté d’étudier la Maison de Saint-Just et d’en faire l’histoire architecturale. Je lui avais bien entendu montré le plan de 1807 et il avait jugé que la propriété de Marie-Anne de Saint-Just était plus cohérente si elle comprenait aussi le bâtiment longeant la rue du Jeu d’Arc. Toutefois, le fait de ne pouvoir se fier qu’à l’acte de donation-partage de 1807 rendait délicat de s’avancer plus. Il est donc satisfaisant que l’acte de vente du 24 avril 1829 remédie à ces insuffisances.

    La maison de la rue du Jeu d’Arc est décrite en ces termes dans l’acte de vente de 1829 : « un rez-de-chaussée ayant son entrée sur la rue par un corridor, chambre à gauche, cuisine, fournil, grange, bûcher et latrines à droite ; un premier étage auquel on arrive par un escalier existant dans le corridor et composé de trois chambres et deux cabinets avec grenier au-dessus, le tout construit en pierre et couvert en tuiles ». La première remarque qui s’impose à la lecture de cette description est que cette partie de la propriété était en 1829 plus importante qu’elle ne l’était en 1807 d’après le plan que nous possédons. De toute évidence, Victoire de Saint-Just fit construire de nouveaux bâtiments. En effet, le plan de 1807 n’indique pas de grange dans la partie de propriété qui revint à Victoire de Saint-Just : on doit donc supposer que celle-ci a été construite par Victoire de Saint-Just, de même semble-t-il que le bûcher et les latrines que ne mentionne pas l’acte de 1807. Peut-être Victoire fit-elle également modifier les bâtiments qu’elle avait reçus de sa mère. La comparaison du cadastre actuel et du plan de 1807 montre en effet que, contrairement à ce qu’il en est pour la Maison de Saint-Just hors dépendances, ce bâtiment occupe aujourd’hui une surface différente de celle qui était la sienne au moment du partage : si l’on examine les proportions des maisons sur le plan de 1807 et sur le plan cadastral actuel, on constate que l’actuelle propriété du 1 rue Saint-Just est moins longue que le bâtiment du plan de 1807. Toutefois, il n’est pas possible, en l’absence d’autres informations, de savoir si cette modification est antérieure à 1829.

    D’après la description qui en a été faite lors de la vente de 1829, l’aile gauche du rez-de-chaussée de la maison de la rue du Jeu d’Arc se composait à cette date d’une pièce unique qui est une chambre. On retrouve la disposition de part et d’autre d’un corridor à peu près central du plan de 1807 mais avec un nombre de pièces réduit puisque, vingt-deux ans plus tôt, cette aile de bâtiment comportait, d’après le plan, une pièce avec cheminée et une pièce plus petite en étant dépourvue. Des modifications ont donc été apportées par Victoire de Saint-Just à cette aile du rez-de-chaussée, vraisemblablement pour construire « l’escalier existant dans le corridor » menant au premier étage qui n’apparaît pas sur le plan de 1807 [5]. On peut faire l’hypothèse que l’érection de l’escalier dans le corridor a conduit à abattre le mur sud du corridor ainsi que celui séparant les deux pièces de l’aile gauche dans le but d’agrandir la chambre que la construction de l’escalier avait amputée d’une partie de sa surface et de sa cheminée : la souche actuelle de la cheminée de la partie gauche de la maison, qui est en pierre et donc ancienne, est en effet déportée par rapport à l’emplacement de la cheminée de l’aile gauche tel qu’il apparaît sur le plan de 1807 [6].

    La partie du rez-de-chaussée à droite du corridor semble avoir été encore plus fortement modifiée par Victoire de Saint-Just et son époux. Le plan montre qu’en 1807 cette partie du bâtiment comprenait deux pièces aux dimensions similaires dotées de cheminées et qu’une petite structure avait été édifiée contre son mur nord. En 1829, d’après l’acte notarié, la partie droite du rez-de-chaussée de la maison se composait d’une cuisine et d’un fournil, ainsi que d’une grange, d’un bûcher et de latrines. La différence entre le plan de 1807 et cette description est telle qu’elle oblige à penser que cette partie du bâtiment fut agrandie entre 1807 et 1829 par Victoire de Saint-Just et son époux. La grange, le bûcher et les latrines pourraient ainsi avoir été bâtis par eux, tandis que la cuisine et le fournil correspondraient aux deux pièces à droite du corridor que l’on voit sur le plan de 1807. Il est d’ailleurs possible que la configuration de la partie droite du rez-de-chaussée de la maison de la rue du Jeu d’Arc ait été plus proche, en 1829, de celle de la maison actuelle qui consiste en une première salle assez vaste ouvrant sur une pièce plus petite [7] : l’emplacement actuel des souches de cheminées donne une idée de cette disposition. Enfin, on pourra noter que si, dans la bâtisse actuelle, les quatre portes du corridor correspondent aux ouvertures notées sur le plan en 1807, la porte conduisant de la première à la deuxième salle de la partie droite du rez-de-chaussée est désormais située à l’opposé, du côté le plus proche de la rue.

    L’acte de vente de 1829 décrit ensuite l’étage « composé de trois chambres et deux cabinets avec grenier au-dessus ». Cette description ne permet pas de connaître l’emplacement précis de ses pièces qui, doit-on supposer, étaient disposées en enfilade, comme au rez-de-chaussée, le bâtiment n’étant pas très large. La façade du bâtiment actuel possède à l’étage, du côté de la rue, quatre fenêtres et on distingue également, du côté de la porte, la trace d’une cinquième fenêtre murée [8] : ces fenêtres s’accordent avec le nombre important de pièces – trois chambres et deux cabinets – que comportait l’étage en 1829. On s’étonnera d’ailleurs que la demeure des Lessassière ait comporté en tout sept chambres, trois dans la partie de la bâtisse de la rue de la Chouette leur appartenant, et quatre dans le bâtiment de la rue du Jeu d’Arc.

    La maison de la rue du Jeu d’Arc, est-il encore précisé dans l’acte de 1829, était couverte de tuiles, comme celle de la rue de la Chouette, et comportait deux caves. L’une est décrite comme la « moitié d’une cave existante sous l’autre partie de bâtiment » : il s’agit de la cave qui, jusqu’à cette vente, allait de l’une à l’autre des façades nord et sud de la Maison de Saint-Just. Elle fut, en 1829, divisée en deux par un mur central [9]. Ces deux moitiés de caves existent toujours sous le bâtiment de la rue de la Chouette, l’une ouvrant sur la courette de la Maison de Saint-Just tandis que l’autre donne sur la propriété voisine du 1 rue Saint-Just. La seconde cave que mentionne l’acte notarié est « adossée contre ledit bâtiment (i. e. la maison de la rue du Jeu d’Arc), sur laquelle cave existe un appentis couvert en ardoise » qui n’est pas plus précisément situé [10].

    Enfin, l’acte de vente de 1829 évoque une « tourelle » située « dans l’encoignure de la partie de maison vendue près la partie réservée », soit sur la portion de terrain située entre la maison de la rue de la Chouette et celle de la rue du Jeu d’Arc, avant l’escalier descendant dans le jardin dessiné sur le plan. Cette tourelle eut, tout au plus, deux décennies d’existence [11] et n’était pas construite lorsque Saint-Just habitait chez sa mère, puisqu’elle n’apparaît pas sur le plan de 1807. Le même passage de l’acte de vente de 1829 indique que les époux Lessasière « pourront aussi faire enlever dans le même délai les marches formant l’escalier descendant de la partie de bâtiment réservée au jardin » et en conserver les matériaux, de même qu’il leur était loisible de conserver ceux de la tourelle. Il est possible que ces pierres aient servi à murer les ouvertures de la maison de la rue de la Chouette donnant sur la propriété de Louis Pierre Leroux et à bâtir le mur séparant en deux la cave située sous cette partie du bâtiment.

    On voit que l’acte notarié dressé pour la maison du Jeu de l’Arc est particulièrement précis, plus qu’il ne l’est pour la partie de la Maison de Saint-Just également vendue le 3 avril 1829. Il donne même des informations sur l’aménagement intérieur de cette maison dont nous aurions aimé aussi disposer pour celle de la rue de la Chouette. On lit en effet : « Dans cette vente sont compris les boiseries, armoires et glaces qui se trouvent dans les bâtiments, les rayons [c’est-à-dire les planches de rangement] existant dans la cuisine et les ustensiles de jardinage ». Des précisions sont également apportées sur le jardin vendu avec la maison : d’abord sur ses dimensions, le jardin ayant désormais une surface de « vingt-trois ares deux centiares ou cinquante-quatre verges soixante-quatre centièmes », soit une augmentation de trente et un centiares par rapport à la donation de 1807 ; mais aussi sur les essences d’arbres qui y poussaient, puisque sont mentionnés « différents arbres, une allée de charmille et une ligne de peupliers ». L’acte de 1807 ne mentionnait que des arbres fruitiers mais la charmille existait déjà, comme une Blérancourtoise l’avait indiqué à Edouard Fleury qui publia la première biographie de Saint-Just en 1852 : « Nous avons visité et longtemps questionné une brave vieille femme de soixante-dix-huit ans qui, dans sa jeunesse, fréquentait la maison des dames de Saint-Just. "Toujours, il [Saint-Just] était sous cette charmille. […]. Il s’y promenait seul en déclamant tout haut, ou en lisant. Il y était sans cesse à écrire » [12]. La charmille a aujourd’hui disparu mais une plaque rue Saint-Just indique son emplacement. Lorsque Fleury se rendit à Blérancourt, il put encore voir cette « vieille et ombreuse charmille baignant ses racines chenues dans un ruisseau » [13]. Quant à la « ligne de peupliers », qui n’est pas non plus mentionnée sur l’acte de 1807, elle a pu être plantée après cette date par Victoire de Saint-Just. Mais il est possible que l’acte de donation ait simplement omis de la signaler : nous savons en effet que le terrain de dix ares que Marie Anne de Saint-Just acheta le 24 janvier 1784 pour agrandir le jardin entourant sa maison comportait des arbres fruitiers ainsi que « des saules et peupliers » [14]. On remarque d’ailleurs que les arbres représentés à l’arrière-plan de la Maison de Saint-Just sur la gravure ancienne représentant le bâtiment semblent des peupliers.

    Enfin, la description de l’acte de 1829 donne des indications sur les limites de cette propriété qui complètent ce qu’indiquait celui dressé pour la donation de 1807. L’acte de 1807 précisait que la propriété était fermée par un mur du côté de la rue et de haies vives sur ses autres côtés. Ce mur, dont il subsiste un tronçon rue Saint-Just, est également mentionné en 1829. L’acte de 1829 ajoute que le jardin de Victoire de Saint-Just était séparé de la propriété adjacente dont avait hérité Gustave Joseph Flahaux après le décès de son père, qui l’avait achetée à Louise de Saint-Just, par la « haie vive » que prévoyait le partage de 1807. Enfin, un fossé que nous devinons être celui qui jouxte encore aujourd’hui le ru servait de limite nord à la propriété vendue en 1829.

    Résumons les conclusions qu’autorisent les actes de vente de 1817 et 1829 de la maison de la rue de la Chouette, que j’ai étudiés dans un texte précédent, et de celle de la rue du Jeu d’Arc. Ils nous apprennent d’abord que ce ne sont pas de lointains descendants de Marie Anne de Saint-Just mais les sœurs du Conventionnel qui vendirent les propriétés que leur mère leur avait données en 1807. Nous ignorons pourquoi Louise de Saint-Just aliéna sa part de la donation, mais Victoire de Saint-Just ne paraît pas avoir vendu sa part de la propriété de gaité de cœur, puisque ce n’est qu’après avoir apporté aux bâtiments des modifications coûteuses qu’elle la céda afin de régler les dettes importantes que son mari et elle avaient contractées. Les derniers propriétaires connus de la Maison de Saint-Just au XIXe siècle sont donc, à ce jour, Gustave Joseph Flahaux (pour la partie gauche de la Maison de Saint-Just, ses dépendances, la moitié gauche de la courette et le jardin situé derrière cette partie de la Maison), François Amable Quequet (pour les parties droites de la Maison et de la courette) et Louis Pierre Leroux (pour le bâtiment de la rue du Jeu d’Arc, ses dépendances et l’autre moitié du jardin). De nouvelles recherches dans les registres des hypothèques postérieurs à 1829 ou dans les archives notariées permettront de connaître à quelles dates eurent lieu les ventes ultérieures et ainsi les étapes du morcellement de la vaste propriété qu’avait connue Saint-Just.

    Ces deux documents apportent également des précisions sur l’aspect qu’avait cette propriété du vivant du jeune révolutionnaire. Les actes notariés de 1776 et 1807 n’avaient pas permis, en effet, de restituer avec certitude la disposition de l’étage de maison de la rue de la Chouette : ils laissaient supposer que Marie Anne de Saint-Just avait transformé une partie du grenier en chambre et en cabinet, ce qui ne fut vraisemblablement pas le cas. Ils nous apprennent également que la cave donnant sur la courette était alors beaucoup plus vaste qu’aujourd'hui, puisqu’elle occupait toute la largeur de la bâtisse. Quant à la courette, elle pourrait dès l’époque de Saint-Just avoir contenu un petit jardin et avoir été clôturée par des claires-voies de bois sur quatre côtés. Enfin, ces documents confirment que, comme l’avait vu Denis Rolland lorsqu’il avait mené son étude architecturale de la maison de la rue de la Chouette, la deuxième porte de la bâtisse donnant sur l’actuelle rue Saint-Just n’existait ni en 1829 ni, très vraisemblablement, au XVIIIe siècle. 

    Toutefois, l’apport le plus important des actes de 1817 et de 1829 concerne le bâtiment de la rue du Jeu d’Arc. Ils permettent en effet de mieux comprendre l’organisation de la propriété de Marie Anne de Saint-Just avant sa division. Certes, d’importantes incertitudes demeurent : en particulier, nous ignorons quand précisément, entre 1776 et 1807, ce bâtiment fut bâti, en sorte que nous ne pouvons être certains que Saint-Just le connut. Néanmoins, le souci qu’eut Marie Anne de Saint-Just d’agrandir sa propriété mais aussi de la rendre utile économiquement donne à penser que ces agrandissements qui permettaient à sa demeure de disposer d’un fournil furent réalisés rapidement avec l’argent qu’il lui restait de la succession de son père.

    De même, l’utilisation qui était faite avant 1807 du bâtiment de la rue du Jeu d’Arc reste incertaine. Nous avons vu que l’acte de vente de 1829 indique l’usage de chacune de ses pièces mais la description que l’acte de donation de 1807 fait de la Maison est beaucoup moins précise, et nous ne pouvons pas nous aider de l’acte dressé en 1829 qui, pour ce bâtiment, ne coïncide pas [15]. En raison de l’agencement des pièces tel qu’il apparaît sur le plan de 1807, je serais tentée de penser que le fournil était la première pièce à gauche en entrant depuis la rue du Jeu d’Arc, et le caveau la pièce sans cheminée située à côté [16].

    Nous avons également vu que l’acte de donation-partage de 1807 ne mentionne pas la partie du bâtiment de la rue du Jeu d’Arc située à droite du corridor bien qu’elle soit représentée sur le plan réalisé pour la donation. Victoire de Saint-Just a pourtant vendu en 1829 cette partie de bâtiment comme lui appartenant d’après l’acte de 1807. L’acte de donation ne nous étant connu que par une copie tardive, il n’est pas impossible que celle-ci soit incomplète. Cette explication n’est toutefois guère satisfaisante. On peut également se demander si Marie Anne de Saint-Just n’aurait pas souhaité conserver pour son propre usage, sans la donner à ses filles, la moitié du bâtiment de la rue du Jeu d’Arc que le document de 1807 ne mentionne pas. Lors de son décès le 11 février 1811, ce fut son beau-fils Jean Michel Nicaise Lessasière, l’époux de Victoire, qui, accompagné d’un voisin [17], déclara son décès à la mairie de Blérancourt, ce qui s’expliquerait d’autant mieux si madame de Saint-Just avait habité la même maison que le couple [18]. En l’état de la documentation dont nous disposons, il est impossible de parvenir à aucune conclusion sur l’usage de cette aile de la bâtisse avant 1807.  

    Enfin, une dernière question intéressera particulièrement les amoureux des vieilles pierres : la maison du 1 rue Saint-Just correspond-elle, sinon entièrement du moins en partie, au bâtiment dessiné le long de la rue du Jeu d’Arc sur le plan de 1807 ? La différence de surface oblige à penser que la bâtisse a été transformée. Lorsque je l’ai visitée, il m’a du moins semblé que son organisation actuelle de chaque côté d’un corridor central présentait de fortes ressemblances avec la description faite en 1829 de ce bâtiment. La maison du 1 rue Saint-Just mériterait ainsi une étude architecturale semblable à celle que Denis Rolland a menée pour la maison de la rue de la Chouette.

    De nouvelles recherches dans les centres d’archives pourraient également apporter des informations sur l’évolution postérieure des deux maisons de la rue de la Chouette et de la rue du Jeu d’Arc. En particulier, il serait intéressant de savoir si la maison de la rue du Jeu d’Arc a connu d’importantes modifications architecturales après 1829. Parvenir à une vue d’ensemble des transformations apportées à la maison de la rue de la Chouette au cours des XIXe et XXe siècles a moins d’enjeux dans la mesure où nous connaissons beaucoup mieux cette partie de la propriété des Saint-Just pour la période où le jeune révolutionnaire y vécut. Cependant, il serait souhaitable que puissent être datées l’ouverture de la porte sur l’actuelle rue Saint-Just ainsi que la construction du second portail donnant sur la rue de la Chouette que l’on aperçoit sur la gravure ancienne. Enfin, on aimerait savoir à partir de quelle date cette maison a périclité au point de devenir une dépendance agricole, la partie du bâtiment la plus à l’est devenant le garage dont on voit la porte sur les photographies des années 1970 et 1980.

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[1] Registre de conservation des hypothèques de l’arrondissement de Laon en date du 24 avril 1829 (acte numéro 63 du registre).

[2] Acte de vente de la partie est de la Maison de la rue de la Chouette. L’acte de vente de la maison de la rue du Jeu d’Arc utilise le pluriel pour désigner les ouvertures de la Maison donnant sur la propriété de l’acheteur : « Les vendeurs […] boucheront les portes de communication avec la partie de bâtiment réservée et les jours de cette partie des bâtiments donnant sur le jardin ».

[3] Né le 21 août 1769 à Chauny, celui-ci décéda le 8 août 1846 dans sa maison de Blérancourt d’après l’acte de décès établi le lendemain. L’une des personnes qui déclara le décès était Alexandre Isidore Debrie, propriétaire âgé de soixante-huit ans, qui était voisin de Louis Pierre Leroux.

[4] Obligations passées les 16 décembre 1823 et 22 mars 1827 devant maître Vielle. Gustave Joseph Flahaux décéda le 2 octobre 1870 à Mons-en-Laonnois.

[5] Je suppose ici que l’escalier se trouve dans le corridor au même emplacement qu’il est actuellement ou qu’est actuellement celui qui le remplace, soit à gauche lorsqu’on vient de la rue.

[6] L’actuelle propriétaire de la maison du 1 rue Saint-Just, madame Jeannine Lempereur, m’a très aimablement fait visiter sa maison. D’après ce qu’il m’a semblé, cette partie du bâtiment est ancienne mais a été fort transformée. Elle est constituée de deux petites pièces sans cheminée. La deuxième possède une porte donnant sur le jardin qui n’existait pas en 1807. Des photographies anciennes montrent que dans les années 1980 le pignon est était devenu un garage qui avait enlaidi la bâtisse et bouleversé son organisation intérieure.

[7] Cette aile du bâtiment possède également une cuisine donnant sur le jardin, construite perpendiculairement au reste du bâtiment, qui est de construction moderne comme l’indiquent la verrière et l’utilisation de moellons. On aperçoit sur le plan cadastral cette cuisine ainsi que deux autres constructions modernes (un pavillon et un auvent) bâties contre la maison de la rue de la Chouette.

[8] Sur la façade opposée donnant sur le jardin, la fenêtre qui était la plus proche de la maison de la rue de la Chouette a également été murée.

[9] L’acte de vente précise que la cloison de séparation en deux parties de la cave sera réalisée aux frais des vendeurs.

[10] Pourrait-il s’agir du petit édifice que l’on aperçoit sur le mur du bâtiment le plus au nord du plan de 1807 ? Si tel était le cas, les dimensions du bâtiment de la rue du Jeu d’Arc n’auraient pas changé entre cette date et 1829.

[11] D’après l’acte de vente, sa destruction, aux frais des vendeurs, devait avoir lieu au plus tard le 11 novembre 1829.

[12] Edouard Fleury, Saint-Just et la Terreur, Paris, Didier, tome I, 1852, p. 15.

[13] Ibidem.

[14] Cf. Bernard Vinot, op. cit., p. 6.

[15] Si les deux actes mentionnent un fournil, il est situé en 1807 à côté d’un caveau, alors qu’en 1829 il jouxte une cuisine : cette cuisine et ce caveau ne paraissant pas être la même pièce, le fournil a dû changer de place à l’intérieur du bâtiment.

[16] Comme le plan de 1807 n’indique pas d’escalier pour la maison de la rue du Jeu d’Arc, la question du mode d’accès à la chambre et au cabinet situés à l’étage se pose. Peut-on supposer qu’il se faisait par une échelle ? On peut aussi se demander si la tourelle construite par Victoire de Saint-Just à l’angle des deux maisons n’avait pas pour fonction de faciliter l’accès à l’étage avant que l’escalier du corridor ne fût construit.

[17] L’autre témoin s’étant chargé de cette tâche est un voisin exerçant la profession de jardinier, Sébastien Deshayes. L’acte de vente de la part de la maison de la rue de la Chouette appartenant à Louise de Saint-Just mentionne un Deshayes dont la propriété avoisinait la partie de son terrain la plus au nord, en forme d’angle sortant, sur le plan de 1807.

[18] La vente de la partie ouest de la maison de la rue de la Chouette et de son terrain rapporta cinq mille cinq cents francs à Louise de Saint-Just, tandis que sa partie est fut vendue par Victoire de Saint-Just pour deux mille francs, et la maison de la rue du Jeu d’Arc et son terrain par la même pour six mille francs. Le don de Marie Anne de Saint-Just à ses filles serait déséquilibré (la donation faite à Victoire aurait eu une valeur totale de huit mille francs) si les documents dont nous disposons ne laissaient supposer que cette sœur de Saint-Just agrandit sa propriété entre 1807 et 1829. Deux explications, qui d’ailleurs ne s’excluent pas, sont envisageables : Victoire a pu augmenter la valeur de la propriété que lui avait donnée sa mère en faisant bâtir les dépendances de la rue du Jeu d’Arc et en modifiant, voire en faisant reconstruire, la maison longeant la rue ; ou, si l’on suppose que Marie Anne de Saint-Just avait conservé pour elle une partie du bâtiment de la rue du Jeu d’Arc, elle put après le décès de leur mère en 1811 compléter sa propriété en rachetant à sa sœur la partie de ce bâtiment qui lui revenait par héritage.