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La Maison de Saint-Just au début du XIXe siècle (2) : les ventes de 1817 et de 1829

L’opinion qui prévalait jusqu’ici est que la Maison de Saint-Just à Blérancourt fut longtemps occupée par les descendants de Marie Anne de Saint-Just. Selon cette opinion, sa fille Louise vécut dans la partie ouest de la Maison presque jusqu’à sa mort survenue en 1857, et la dernière descendante de Marie Anne de Saint-Just à avoir habité la Maison fut l’arrière-petite-nièce de Saint-Just rencontrée par l’historien G. Lenotre dans les premières années du XXe siècle [1]. J’avais demandé, il y a quelques temps, aux services des Archives de l’Aisne que soient faites pour le compte de l’Association pour la sauvegarde de la Maison de Saint-Just des recherches sur le devenir de la bâtisse au XIXe siècle. Les recherches de cette sorte sont en effet fort longues et celles qui avaient été menées par Bernard Vinot puis par plusieurs adhérents de l’association dans les archives notariées n’avaient rien donné. Madame Apolline Ragot, archiviste chargée de collections aux Archives de l'Aisne, a été plus heureuse. Ses recherches dans les registres des hypothèques conservés à Laon l’ont amenée à me communiquer les copies d’un ensemble de documents correspondant aux mutations de la Maison de Saint-Just et de propriétés avoisinantes. 

    Le premier des documents qui nous intéressent concerne la vente le 8 avril 1817 par Louise de Saint-Just épouse Decaisne de sa partie de la maison de la rue de la Chouette et de son jardin pour la somme de cinq mille cinq cents francs [2]. Cette vente intervint relativement vite puisqu’elle eut lieu moins de dix ans après la donation de Marie Anne de Saint-Just [3]. L’acquéreur de la propriété était Louis Joseph Flahaux que l’acte notarié présente comme capitaine au cinquième régiment de hussards en situation de « non activité » (il était vraisemblablement retraité). Il ne profita que peu d'années de sa demeure puisqu’il mourut à Blérancourt à l’âge de quarante-huit ans le 7 janvier 1822 [4]. Au moment de l’achat, Louis Joseph Flahaux n’habitait pas à Blérancourt mais à Saconin-et-Breuil, village de la périphérie de Soissons, mais il put avoir eu connaissance de la vente par son cousin germain Nicaise Deshayes, marchand épicier à Blérancourt, qui signa son acte de décès (dix ans plus tard, il signa également celui de Victoire de Saint-Just). Quant à Louise de Saint-Just et son époux, il est indiqué qu’ils habitaient lors de cette vente à Blérancourt sans qu’il soit précisé s’ils logeaient dans la maison de la rue de la Chouette [5]

    Le notaire chargé par Louise de Saint-Just et son mari de réaliser l’acte de vente du 8 avril 1817 fut « Garot, notaire royal à la résidence de Coucy-le-Château » qui, pour l’occasion, s’était déplacé dans leur demeure. La date de l’acte suggère que ce notaire est Charles Jean François Garot qui mourut le 3 novembre de la même année et exerça jusqu’à son décès [6] plutôt que son fils. Charles Jean François Garot est bien connu des biographes de Saint-Just puisque, malgré leur différence d’âge (Garot était plus âgé de dix-sept ans que le futur Conventionnel), les deux hommes eurent une correspondance régulière et étaient liés d’amitié [7]. Dès le début de la Révolution, Garot s’engagea en faveur des idées nouvelles ; en 1793, il fut élu maire de Coucy-le-Château et fut dénoncé comme proche de Saint-Just après Thermidor. Louise de Saint-Just et François Emmanuel Decaisne, qui était lui-même notaire, connaissaient personnellement Charles Jean François Garot puisque c’était lui qui, en 1790, avait rédigé en tant que notaire leur contrat de mariage [8]. Il est par conséquent naturel que Louise de Saint-Just se soit tournée vers lui lors de la vente de sa part de la propriété de la rue de la Chouette.

    L’acte de vente du 8 avril 1817 décrit la moitié ouest de la Maison de Saint-Just de la manière suivante : « une maison (i. e. une salle commune), chambre, cabinet, cuisine avec cave dessous, autre petit cabinet y attenant, grenier au-dessus, grange et bûcher, construits en pierre et couverts en tuile, un autre petit bûcher bâti en planches tenant au pignon de la cuisine et à la rehesse de la grange ». Cette description et celle du jardin vendu avec la maison ne diffèrent pas de celles qui en avaient été faites en 1807 lors de leur donation, et elles correspondent aussi au plan qui fut réalisé alors. Il semble donc que, pour sa moitié ouest, la Maison de Saint-Just n’ait pas connu de changement notable entre 1807 et 1817.

    La vente de la partie est de la maison de la rue de la Chouette par Marie Françoise Victoire de Saint-Just et son époux Jean Nicaise Michel Lessasière eut lieu douze ans plus tard, le 3 avril 1829 [9]. Son acquéreur, François Amable Quequet ou Quéquet [10], « propriétaire à Blérancourt », l’acheta pour deux mille francs, montant très inférieur à celui produit par la vente de la partie ouest de la Maison qu’explique l’absence de jardin et de dépendances. Trois ans plus tôt, le 18 juillet 1826, François Amable Quequet avait acheté à Blérancourt une maison disposant d’un jardin pour la somme de cinq mille francs [11]. On peut donc se demander s’il entendait déménager dans sa partie de la maison de la rue de la Chouette ou s’il l’acheta afin de la mettre en location.

    L’acte de vente du 3 avril 1829 décrit ainsi la partie est de la Maison de Saint-Just : « trois chambres basses au rez-de-chaussée, grenier au-dessus, cave dessous ». Comparons cette description à celle qui a été faite de la Maison de Saint-Just en 1807, dans l'acte notarié que Marie Anne de Saint-Just fit établir afin de donner sa propriété à ses filles. Les trois chambres correspondent à la salle commune, qui a donc changé de destination depuis la donation de madame de Saint-Just, et aux deux chambres de l’acte de 1807. La cave est celle mentionnée à cette date sous cette partie du bâtiment. Le « grenier au-dessus » conduit à penser que l’hypothèse de combles constitués en 1807 non d’une chambre, d’un cabinet et d’un grenier, mais seulement d’un grenier est la plus vraisemblable. Enfin, on remarque que le notaire de l’acte de 1829 a négligé de mentionner le vestibule et l’escalier de la Maison de Saint-Just, qui devaient nécessairement être indiqués en 1807 pour la diviser entre les deux sœurs du Conventionnel conformément au souhait de leur mère.

    Quant à l’espace extérieur cédé à François Amable Quequet, il se réduit à une « petite cour et jardin devant les bâtiments avec claire-voie en bois et entrée sur la rue de la Chouette, mur mitoyen avec le mineur Flahaux » (Gustave Joseph Flahaux, l’héritier de Louis Joseph Flahaux, décédé en 1822). Cette petite cour correspond, sur le plan, à l’avant-cour la plus à l’ouest qu’un mur a séparée en 1807 de son autre moitié appartenant alors à Gustave Joseph Flahaux. Si rapide soit-elle, cette description de la courette apporte des informations intéressantes pour la connaissance de la Maison de Saint-Just. Elle nous apprend ainsi qu’en 1829 la courette de la Maison était fermée sur la rue, certainement sur toute sa longueur, par une « claire-voie », c’est-à-dire une clôture dont les pièces de bois laissaient passer le jour en n’étant pas jointes [12]. Je me suis demandé si les hachures que l’on voit sur le plan de 1807 le long de deux des côtés de chaque avant-cour pouvaient correspondre à des clôtures de ce type. La précision « entrée sur la rue de la Chouette » est elle aussi utile puisqu’elle indique que l’entrée de la Maison se trouvant aujourd’hui rue Saint-Just n’existait pas plus en 1829 qu’en 1807. Enfin, la mention d’un « jardin » prouve qu’à cette date des plantations poussaient dans la courette aujourd’hui recouverte de graviers [13]. Il est vraisemblable qu’il en ait été de même à l’époque où Saint-Just habitait la Maison : ces informations ouvrent ainsi des perspectives de restauration des abords de la propriété au XVIIIe siècle qui n’avaient pas été envisagées.

    L’acte de vente de la part de la Maison de Saint-Just appartenant à Victoire de Saint-Just ne mentionne en revanche ni les « fournil, caveau à côté, chambre et cabinet au-dessus » ni le vaste terrain planté d’arbres fruitiers également donnés à Victoire par sa mère en 1807. Cette partie de sa propriété donna lieu à une seconde vente qui nous intéresse puisqu’elle concerne également la demeure où Saint-Just vécut tant qu’il habita Blérancourt. C’est à cette vente qu'est consacré l'article suivant.

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[1] G. Lenotre, « Saint-Just à Blérancourt », in Vieilles maisons, vieux papiers, Paris, Perrin, 1901, p. 338-339.

[2] Registre de conservation des hypothèques en date du 6 mai 1817 (acte numéro 67 du registre).

[3] Marie Anne de Saint-Just était décédée six ans plus tôt, le 11 février 1811.

[4] L’acte de décès précise qu’il était alors veuf de Claire Schlagdenhauffen qu’il avait épousée à Strasbourg.

[5] Un autre acte de vente communiqué par les Archives de l’Aisne indique que les époux Decaisne étaient, au moment de cette vente, propriétaires d’une maison beaucoup plus importante à Blérancourt. Au moment de la vente de leur partie de la Maison de Saint-Just, ils habitaient plus probablement cette maison.

[6] Bernard Vinot, « Deux nouvelles lettres de Saint-Just à Garot », Annales historiques de la Révolution française, n° 346, 2006, p. 135, en note. Son fils aîné, Charles Joseph Bonaventure Garot, né en 1785, fut lui aussi notaire royal à Coucy, mais semble-t-il seulement à partir de 1820.

[7] Lors de l’élection en 1790 des juges de district à Coucy-le-Château, Saint-Just logea ainsi au domicile du notaire et de son épouse (ibidem).

[8] Ces informations sont toutes extraites de l’article cité à la note 6.

[9] Registre de conservation des hypothèques de l’arrondissement de Laon en date du 24 avril 1829 (acte numéro 63 du registre).

[10] François Amable Quequet décéda à Blérancourt le 14 avril 1834. Au moment de son décès, il était âgé de soixante-sept ans et veuf de « dame Sauterel ». L’acte de décès précise également qu’il était né à Autrêches.

[11] L’acte d’acquisition de 1826 le qualifie de « rentier » et précise qu’il habitait alors à Coucy-le-Château.

[12] On notera que sur cette carte postale du début du XXe siècle la clôture comporte une claire-voie de bois qui pourrait ressembler à celle qui existait un siècle plus tôt. Toutefois, l’acte de 1829 ne mentionne pas de muret de pierre soutenant la clôture.

[13] Sur la carte postale que présente la note précédente, on voit un arbre fruitier qui pousse dans la courette.