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Un faux manuscrit de Saint-Just en vente

La semaine passée, j'ai eu la surprise de retrouver sur un site de vente en ligne un prétendu manuscrit autographe de Saint-Just qui avait été proposé il y a quelques années à l'Association pour la sauvegarde de la Maison de Saint-Just. L’Association acquérant régulièrement des manuscrits de Saint-Just ainsi que d’autres documents le concernant, il est normal que des propositions d’achat de textes ou d’imprimés de ce révolutionnaire lui parviennent. Chacune fait alors l’objet d’un examen de ma part et de celle de Bernard Vinot. Le cas échéant, j’indique toujours au vendeur, que je suppose a priori de bonne foi, pourquoi son document ne saurait être authentique.

Il n’en a pas été autrement pour ces cinq lignes présentées comme de la main de Saint-Just. J’avais alors échangé plusieurs courriels avec le vendeur pour lui expliquer que son autographe ne pouvait être de lui : le faussaire s’était contenté de recopier les cinq dernières lignes d’une lettre de Saint-Just à Camille Desmoulins en utilisant, certes, le papier de l’époque, mais en imitant de manière grossière l’écriture du Conventionnel (la signature de Saint-Just, par exemple, y est fort maladroite). Si l’auteur de cette supercherie a pu la croire habile, c’est parce que l’on a longtemps ignoré le lieu où est conservé l'original du prétendu manuscrit [1]. Je pense en effet être la première à avoir indiqué [2] que cette lettre, qui est la seule de Saint-Just à Camille Desmoulins à nous être parvenue, se trouve à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris depuis le XIXe siècle. 

Le vendeur de ce faux m’avait dit le tenir d’un parent décédé… En le vendant à une entreprise allemande n’ayant aucune compétence en matière d’autographes, ou bien à un amateur qui s’est empressé de le céder à cette entreprise, il aura donc finalement réussi à toucher une part de son héritage… Quelle leçon tirer de cette affaire qui, malheureusement, est loin d’être isolée ? Qu’à moins de se spécialiser soi-même, ce qui demande du temps, il est fort hasardeux de s’en remettre, pour l’achat de manuscrits anciens, à des commerçants généralistes ou à des particuliers plus ou moins honnêtes. D’autant plus que, si les documents authentiques trouvent facilement des acquéreurs qui les conservent longtemps, ceux qui sont faux ou douteux reviennent sans cesse sur le marché.



[1] L’édition des Œuvres complètes de Saint-Just établie par Miguel Abensour et Anne Kupiec (Paris, Gallimard, « Folio Histoire », 2004) la place ainsi dans une section réunissant des « Textes attribués à Saint-Just » (p. 1184-1185). Comme ils ignoraient où se trouvait la lettre originale (voir la note 19, p. 1238), ils ont reproduit le texte des Œuvres publiées en 1908 par Charles Vellay qui n’indique généralement pas ses sources.

[2] Aux pages 141-143 du volume III de mon mémoire de thèse : Anne Quennedey, Un sublime moderne : l’éloquence de Saint-Just à la Convention nationale (1792-1794), mémoire dactylographié, Université Paris Sorbonne, 2013.