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La Maison de Saint-Just au début du XIXe siècle : la donation-partage de 1807

L’histoire de la Maison de Saint-Just à Blérancourt entre le milieu du XVIIIe siècle et les premières années du XIXe siècle est bien connue pour avoir fait l’objet de deux études fondatrices. En 1987, Bernard Vinot, à qui l’on doit le sauvetage de la bâtisse, a retrouvé ses premiers propriétaires et les actes de cession la concernant jusqu’en 1807 [1]. Dans les années 2010, Denis Rolland a quant à lui mené une étude approfondie de l’architecture de la Maison de Saint-Just qui a permis de connaître les étapes successives de sa construction et d’aboutir à des restitutions graphiques en trois dimensions de sa configuration intérieure et extérieure à l’époque où Saint-Just y vécut [2]. Ces recherches ont apporté sur la maison de la rue de la Chouette des informations nombreuses intéressant tant la connaissance de la vie de Saint-Just que celle de l’habitat rural à la fin du XVIIIe siècle.

    La série d’articles que ce texte inaugure s’intéresse à ce que cette propriété devint dans les premières décennies du XIXe siècle après que la mère du Conventionnel l’eut partagée entre ses deux enfants survivants. Des documents inédits dont je dois la communication aux Archives de l’Aisne nous apprennent en effet à quelle date elle n’appartint plus aux Saint-Just et commença à être divisée en parcelles. Ces documents permettent également de dater certaines modifications dont les bâtiments portent la trace. Mais leur principal intérêt pour qui s’intéresse à la propriété des Saint-Just dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, lorsque le futur Conventionnel y habitait, tient à ce qu’ils rendent possible de corriger des inexactitudes auxquelles avaient donné lieu l’imprécision des descriptions des actes notariés de 1776 et 1807.

    La maison de la rue de la Chouette fut achetée le 16 octobre 1776 par la mère du futur Conventionnel, Marie Anne de Saint-Just, au marchand-épicier François Lefèvre. L’un des documents qui nous a été communiqué par le service des Archives de l’Aisne [3] précise que cette vente fut complétée par un second acte passé auprès du même vendeur dont nous n’avions pas connaissance, qui fut signé le 4 octobre 1777. Comme l’a souligné Bernard Vinot, François Lefèvre peut être considéré comme le maître d’œuvre de la Maison de Saint-Just puisque c’est lui qui fit bâtir entre 1749 et 1776 la bâtisse en forme de U que nous connaissons à partir de constructions plus anciennes. Durant cette période, François Lefèvre fit aussi l’acquisition de plusieurs terrains attenants à la Maison de Saint-Just : au moment de sa vente, le potager et le verger derrière la Maison de Saint-Just s’étendaient sur 28,3 ares. En 1784 et 1787, Marie Anne de Saint-Just agrandit sa propriété, qui atteignit un demi-hectare. Elle s’étendait alors jusqu’au ru que l’on aperçoit lorsqu’on se promène rue Saint-Just près du lieu-dit « la charmille Saint-Just » qui, au XVIIIe siècle, en faisait partie. Un plan établi le 5 juin 1807 montre de façon précise la surface qu’occupait à cette date la propriété. Elle a depuis été divisée en une douzaine de parcelles.

    Le 5 juin 1807 fut une date cruciale pour le devenir de la Maison de Saint-Just puisque Marie Anne de Saint-Just donna ce jour devant notaire à chacune de ses deux filles la moitié de sa propriété. D’après un document conservé au musée de la Révolution française de Vizille [4], le partage attribua à Louise de Saint-Just épouse Decaisne la moitié ouest de la Maison, et à Victoire de Saint-Just épouse Lessassiėre la partie est, chacune recevant de surcroît la moitié du jardin situé à l’arrière de sa part de la bâtisse et les dépendances construites sur son terrain. Louise de Saint-Just disposa ainsi de la moitié de la Maison de Saint-Just située à gauche du vestibule central où se trouve l’escalier [5], soit trois pièces, le grenier se trouvant au-dessus ainsi qu’une grange et deux bûchers bâtis sur le mur est de la maison. Cette grange et ces bûchers ont disparu mais le mur ouest en porte la trace ainsi que celle d'une porte qui a été murée. La description que donnent l’acte de donation de 1807 et le plan en annexe indiquent que l’aspect de cette partie de la Maison de Saint-Just était différent de celui que nous lui connaissons, puisque cette aile du bâtiment était desservie par un couloir qui donnait sur une chambre, une cuisine et une salle commune mais aussi deux petits cabinets [6] attenant à la chambre et à la cuisine qui n’existent plus, leurs cloisons ayant été détruites.

    D’après l’acte notarié, Victoire de Saint-Just, à qui revint la partie ouest du bâtiment, entra quant à elle en possession d’« une maison, deux chambres à côté, cave dessous, un fournil, caveau à côté, chambre et cabinet au-dessus, grenier au-dessus, le corridor et l’escalier pour monter audit grenier ». La « maison », c’est-à-dire la salle commune, et les deux chambres correspondent aux deux pièces qui se trouvent à droite du vestibule, celle formant aujourd’hui l’angle de la rue Saint-Just et de la rue de la Chouette étant en 1807 coupée en deux comme on le voit sur le plan. La cave se trouve sous cette partie du bâtiment et ouvre sur la courette. L’acte notarié de 1807 indique que la donation à Victoire de Saint-Just comportait, outre les trois pièces et la cave, « un fournil, caveau à côté, chambre et cabinet au-dessus, grenier au-dessus, le corridor et l’escalier pour monter audit grenier ». Ce passage de la description est tout sauf clair. Faut-il comprendre que cette chambre, son cabinet et le grenier se trouvaient au-dessus des trois pièces du rez-de-chaussée de la Maison de Saint-Just ? Ou bien la chambre en question et le cabinet se situaient-ils au-dessus du fournil et du caveau, dans un bâtiment servant de dépendance ? Cette interprétation permettrait de donner une destination au bâtiment qui longe la rue du Jeu d’Arc sur le plan de 1807. Toujours selon cette interprétation, le grenier appartenant à Victoire de Saint-Just aurait occupé la totalité de la partie ouest des combles.

   Le résultat de la donation de 1807 fut de transformer la Maison de Saint-Just en deux maisons mitoyennes, l’acte notarié spécifiant que les portes de la moitié ouest donnant sur le vestibule seraient murées aux frais de Louise et de son époux afin de l’isoler de la partie revenant aux époux Lessasière [7]. Les deux sœurs se partagèrent de même la courette (« l’avant-cour » du plan) et le vaste terrain planté d’arbres fruitiers à l’arrière de la maison, Louise recevant 29 ares 73 centiares de terrain ou « un essaim vingt une verges trois quarts », et Victoire 22 ares 71 centiares ou « un essaim cinq verges un quart ». Afin de matérialiser cette division, l’acte de cession précise, en prenant appui sur des lettres marquées sur le plan, qu’il « sera, aux frais des donataires, exhaussé un petit mur d’un mètre soixante-deux centimètres ou cinq pieds, à partir du point de la lettre A jusqu’à la lettre B pour séparer l’avant cour et l’entrée » de la Maison de Saint-Just ainsi divisée en deux ; « qu’à partir de la lettre C ou de la rampe de l’escalier descendant du corridor (i. e. l’actuel vestibule de la Maison de Saint-Just) au jardin et sur le côté gauche, il sera construit également un mur qui descendra à côté du puits sur la lettre D » ; enfin, de la lettre D à la lettre F marquée d’une borne située « derrière la charmille près le ru », en passant par la lettre E indiquée également par une borne, qu’« il sera planté une haie vive séparative des portions ci-dessus données, laquelle haie vive […] ne pourra excéder un mètre ou trois pieds deux pouces de hauteur ». Si le mur devant séparer en deux la courette n’existe plus, on peut apercevoir quand on se trouve dans la Maison celui qui fut élevé entre l’escalier et le puits mais aussi entre le puits et l’emplacement correspondant à la lettre E du plan. Aujourd’hui, ce mur n’a plus de fonction de séparation car il s’élève dans un seul jardin [8], celui de la propriété du 1 rue Saint-Just, et il est plus élevé que ce que prévoyait l’acte de donation de 1807 puisqu’il mesure environ deux mètres.

    Ainsi, grâce aux actes de vente du XVIIIe siècle et à l’acte de donation-partage de 1807, on connaissait les propriétaires successifs de la Maison de Saint-Just jusqu’au début du XIXe siècle mais aussi, quoique approximativement [9], l’aspect qu’avait cette demeure et son terrain à l’époque où Saint-Just y vécut. En revanche, on ignorait quand la Maison n’appartint plus aux héritiers de Marie Anne de Saint-Just et les transformations qui y furent apportées dans les décennies qui suivirent. L'article suivant examine deux documents montrant que ce ne furent pas les arrière-neveux et nièces de Saint-Just qui vendirent la maison familiale mais les propres sœurs du Conventionnel.  

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[1] Bernard Vinot, « Histoire d’une Maison », pages 5-6 de la brochure intitulée La Maison de Saint-Just publiée en 1987 par l’Association pour la sauvegarde de la Maison de Saint-Just (brochure rééditée en 1997). Bernard Vinot a fondé en 1985 l’Association pour la sauvegarde de la Maison de Saint-Just qui permit son rachat par la municipalité de Blérancourt en 1989, alors qu’elle tombait en ruine.

[2] Denis Rolland a fait à Blérancourt en 2012 une très intéressante conférence sur l’évolution architecturale de la Maison de Saint-Just qu’il a complétée en 2017 lors du Colloque Saint-Just du 250e anniversaire. Sa communication « Retrouver la maison de Saint-Just » est en cours de publication avec les Actes du colloque.

[3] Le registre de conservation des hypothèques de l’arrondissement de Laon en date du 6 mai 1817 (acte numéro 67 du registre).

[4] Ce document n’est pas l’original mais une copie postérieure portant le tampon « A. Fouquet / Blérancourt », du nom de l’un des descendants de Louise de Saint-Just. Une de ses petites-filles, Louise Augustine Emilienne Decaisne (1834-1910), épousa en effet en 1854 Constant Côme Alphonse Fouquet (1834-1914) dont elle eut quatre enfants. C’est vraisemblablement la même personne qui réalisa en 1906 un dessin de la Maison de Saint-Just.

[5] Cet escalier tournant est représenté sur le plan de 1807. Celui qui se trouve aujourd’hui dans la pièce la plus à l’ouest a été ajouté au début des années 1990 lors de la restauration de la Maison de Saint-Just.

[6] Le Dictionnaire de l’Académie française (éditions de 1762 et 1798) définit le cabinet comme un « lieu de retraite pour travailler, ou converser en particulier, ou pour serrer des papiers, des livres, pour mettre des tableaux, ou quelque autre chose de précieux ».

[7] Ces deux portes sont visibles sur le plan. Celle située le plus près de la rue de la Chouette a été rouverte, mais l’autre est toujours murée.

[8] Parcelles 892 et 1442 du cadastre.

[9] Nous avons vu que la partie de l’acte notarié qui concerne la donation à Victoire de Saint-Just est trop imprécis pour que l’on puisse comprendre l’utilisation des combles de la partie est du bâtiment et l’organisation de ses dépendances. Plusieurs problèmes se posent également pour la partie ouest appartenant à Louise de Saint-Just, problèmes qui sont de moindre importance dans la mesure où les modifications architecturales concernées sont postérieures à l’époque où Saint-Just vécut dans la Maison. On se demandera ainsi par où Louise de Saint-Just entrait dans sa partie de la Maison dont l’entrée principale lui était interdite depuis la donation de 1807. Le plan indique deux entrées sur la rue de la Chouette pour cette partie de la propriété, par la grange et par le jardin, mais qui ne permettent pas d’accéder à la maison directement depuis la rue. Avant la restauration du début des années 1990, il existait une porte sur la façade du pignon ouest que la documentation dont nous disposons ne permet pas de dater mais qui semble postérieure. Par ailleurs, on ne voit pas comment, d’après les termes de la donation, Louise avait accès à sa part du grenier de la maison.