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Florilège sur l’amitié dans les écrits de Saint-Just

Le livre d’Hélène Giannecchini Un désir démesuré d’amitié qui fait l’objet de mon précédent article m’a encouragée à proposer une synthèse des développements que Saint-Just a consacrés à l’amitié. On trouvera ici les célèbres institutions sur l’amitié que Saint-Just rédigea en 1794, mais aussi des textes plus anciens comme ceux extraits de l’Esprit de la Révolution et de la Constitution de France publié trois ans auparavant.

Les différents énoncés de Saint-Just sur l’amitié constituent un ensemble remarquablement cohérent, ainsi qu’on pourra en juger. Je me permets de signaler l’article intitulé « De la haine des rois à la communauté des affections : les ressorts d’une politique républicaine selon Saint-Just » qui porte sur le rôle politique des sentiments selon le révolutionnaire. On trouvera également sur ce blog un florilège de citations de Saint-Just sur ce sujet connexe à l’amitié qu’est l’amour.

Esprit de la Révolution et de la Constitution de France (1791) :

« Les mœurs sont les rapports que la nature avait mis entre les hommes ; ils comprennent la piété filiale, l’amour et l’amitié. Les mœurs dans la société sont encore ces mêmes rapports, mais dénaturés. La piété filiale est la crainte ; l’amour, la galanterie ; l’amitié, la familiarité. » (Partie III, chap. 3)

« Les gouvernements tyranniques sont pleins de fils ingrats, d’époux coupables, de faux amis ; j’en atteste l’histoire de tous les peuples. Mon dessein n’est ici que de parler de la France ; on peut dire qu’elle n’a dans ses mœurs civiles ni vertus ni vices, elles sont toutes de bienséance ; la piété filiale est le respect ; l’amour, un nœud civil ; l’amitié, un amusement, et toutes ensemble l’intérêt. » (ibidem)

Discours à la Convention nationale (1793-1794) :

« Sous la monarchie, […] le sentiment et l’amitié étaient des ridicules. Pour être sage, il fallait être un monstre. La prudence, dans l’âge mur, était la défiance de ses semblables, le désespoir du bien, la persuasion que tout allait et devait aller mal ; on ne vivait que pour tromper ou que pour l’être, et l’on regardait comme attachés à la nature humaine ces affreux travers qui ne dérivaient que du prince et de la nature du gouvernement. » (Discours sur la Constitution de la France, 24 avril 1793)

« Honorez l’esprit, mais appuyez‑vous sur le cœur. La liberté n’est pas une chicane de palais ; elle est la rigidité envers le mal, elle est la justice et l’amitié. » (Rapport sur la police générale, 26 germinal an II - 15 avril 1794)

« Il faut que vous fassiez une cité, c’est-à-dire, des citoyens, qui soient amis, qui soient hospitaliers et frères. » (ibidem)

S’adressant à Danton : « Faux ami, tu disais, il y a deux jours, du mal de Desmoulins, instrument que tu as perdu, et tu lui prêtais des vices honteux. » (Rapport contre les Dantonistes, 11 germinal an II - 31 mars 1794)

Récit d’une séance au Comité de salut public début thermidor : « Billaud-Varenne dit à Robespierre : nous sommes tes amis ; nous avons marché toujours ensemble. Ce déguisement fit tressaillir mon cœur. La veille il le traitait de Pisistrate, et avait tracé son acte d’accusation. » (Discours du 9 Thermidor an II - 27 juillet 1794)

Notes diverses (1793) :

« On ne peut gouverner sans amis. »

Institutions républicaines (1794) :

« Le premier de ventôse [1], [la République célèbrera] la fête de la divinité et des amis dans les temples. »

« Celui qui dit qu’il ne croit pas à l’amitié est banni. »

« Tout homme âgé de vingt et un ans est tenu de déclarer dans le temple quels sont ses amis et cette déclaration doit être renouvelée tous les ans pendant le mois de ventôse. »

« Ceux qui se brouillent sont tenus d’en expliquer les motifs devant le peuple dans les temples sur l’appel d’un citoyen ou du plus vieux. S’ils le refusent, ils sont bannis. [2] »

« Les amis sont placés les uns près des autres dans les combats. »

« Les amis creusent la tombe et préparent les obsèques l’un de l’autre. Ils sèment les fleurs avec les enfants sur la sépulture. »

« Les amis porteront le deuil l’un de l’autre. »

« Ceux qui sont restés amis toute leur vie sont enfermés dans le même tombeau. »

« Si un homme commet un crime, ses amis sont bannis. »

« Si un homme n’a point d’amis, il est banni. »

« Le peuple élira les tuteurs [3] des enfants parmi les amis de leur père. »

« Les amis ne peuvent écrire leurs engagements. Ils ne peuvent plaider [4] entre eux. »

« Nul ne peut contracter sans la présence de ses amis, ou le contrat est nul. »

« Tout contrat est signé par les parties et par les amis, ou il est nul. »

« Ce sont les amis qui reçoivent les contrats. »

« Les procès sont vidés [5] devant les amis des parties constitués arbitres. »

« La République indemnise les soldats mutilés, les vieillards qui ont porté les armes dans leur enfance, ceux qui ont nourri leur père et leur mère, ceux qui ont adopté des enfants, ceux qui ont plus de quatre enfants […] [6] du même lit ; les époux vieux qui ne se sont point séparés, les orphelins, les enfants abandonnés, les grands hommes, ceux qui se sont sacrifiés pour l’amitié, ceux qui ont perdu des troupeaux, ceux qui ont été incendiés, ceux dont les biens ont été détruits par la guerre, par les orages, les intempéries des saisons. »



[1] Saint-Just avait d’abord prévu que l’amitié soit fêtée le 1er floréal en même temps que l’amour.

[2] On trouve sur un autre feuillet une version concurrente : « Si un homme quitte un ami, il est tenu de rendre compte au peuple dans le temple des motifs qui le lui font quitter. » L’étude des documents montre que cette version est antérieure à celle retenue.

[3] La fonction des tuteurs est d’élever les orphelins ou les enfants dont les parents se sont séparés.

[4] Porter une contestation en justice.

[5] Au sens de terminés.

[6] Mot du manuscrit illisible.